Recherche

Les déchets des uns font la richesse des autres

Durant sa jeunesse en Grèce, Peter Tsantrizos rêvait de posséder un camion à déchets. Aujourd’hui, au moyen de technologies écologiques, cet ingénieur chimique transforme les déchets en énergie et en eau utilisable.

Bien sûr, sa mère avait l’habitude de réorienter et de réutiliser les déchets afin de les réduire. Mais lorsqu’il a vu un camion à déchets pour la première fois, le jeune Peter a été ravi. Il a monté à bord pour faire sonner la cloche et appeler tous les voisins. À ce moment a commencé la fascination du futur entrepreneur pour la gestion des déchets. Peter Tsantrizos est actuellement ingénieur chimique et le fondateur de Terragon Environmental Technologies Inc., une entreprise basée à Montréal qui cherche à favoriser l’établissement d’« habitats zéro déchets » durables au moyen de technologies qui transforment les déchets en énergie et en eau utilisable.

Les appareils de récupération des ressources de Terragon offrent de nouvelles options écologiques de durabilité hors réseau aux collectivités éloignées, aux avant‑postes militaires, aux usines et aux bateaux de croisière dans des marchés situés tant au Moyen‑Orient qu’en Arctique ou dans les îles d’Hawaï. Il s’agit d’une technologie perturbatrice offrant une solution évoluée qui pourrait bien changer la façon dont nous percevons les déchets.

Le microsystème autonome de gazéification (MAGS™) de Terragon consiste en une technologie brevetée qui décompose les hydrocarbures dans une variété de déchets, comme les emballages, les déchets solides, les boues d’épuration, les déchets biochimiques et les produits pharmaceutiques. Le MAGS transforme ces déchets en une petite quantité de biochar inerte et d’énergie, dans un réacteur de la taille d’un baril de 208 litres. Autre innovation, la technologie de traitement électrochimique des eaux usées (WETT™) permet de purifier les eaux d’épuration, les eaux huileuses et les eaux ménagères pour en assurer la réutilisation ou l’élimination écologique. Quant à l’appareil WETT‑O™, il est spécialement conçu pour traiter les eaux de cale. Il décompose les émulsions huileuses pour en retirer les polluants, comme les matières solides en suspension, les huiles, les matières organiques et les métaux lourds.

Une visite des installations de Terragon permet de constater toute l’activité qui y règne : des techniciens assemblent les appareils MAGS et WETT et les personnalisent en fonction des besoins de leurs clients. D’ailleurs, l’un d’eux est Russell Emons, un militaire américain, ancien commandant d’escadron d’attaque de chasseurs des Marines et instructeur. Il collabore maintenant avec Terragon afin de déployer ses produits sur le marché américain.

À titre de PDG de Sustained Turn Corp., une filiale de Power Ten Inc., Emons dit reconnaître la valeur des solutions MAGS et WETT pour ses clients militaires. Le MAGS conçu pour l’armée américaine permettra à ce client aux besoins très particuliers d’être plus indépendant du point de vue opérationnel sur le terrain.

En effet, les unités militaires ont actuellement recours aux « fosses de brûlage ». Cette pratique est connue comme « l’agent orange de notre génération », explique Emons, une expression qui fait référence au défoliant dont l’utilisation était répandue pendant la Guerre du Vietnam. Essentiellement, tous les déchets sont brûlés à l’aide de carburant d’aviation dans une fosse à ciel ouvert, ce qui représente un danger tant pour l’environnement que pour la santé et la sécurité du personnel militaire qui doit superviser le brasier. En comparaison, le MAGS permettra aux militaires de générer de l’énergie tout en diminuant considérablement leur empreinte écologique et en optimisant le traitement de leurs déchets.

« Je suis énormément impressionné par la mission que s’est donnée Terragon et son attitude déterminée, indique Emons. Ses concepteurs rêvent déjà d’appareils plus petits qui seraient encore plus efficaces et applicables dans la vie quotidienne. Ils se concentrent vraiment à rendre le monde meilleur, une vision qui rallierait n’importe qui. »

Grâce à son partenariat avec Emons et Sustained Turn Corp., Terragon a décroché deux contrats pour des projets‑pilotes auprès du Corps des Marines d’Hawaï, dont un a été exécuté au quartier général des Marines, sur l’île d’Oahu. Ensemble, les deux entreprises ont conçu une version portable du MAGS, surnommé le MAGS‑en‑boîte, ont installé des appareils dans des conteneurs ISO ou intermodaux, puis les ont testés dans les aires d’entraînements d’Hawaï et des Philippines. Maintenant, avec l’aide de Sustained Turn Corp., Terragon tente de convaincre l’armée que le MAGS ne représente pas seulement un projet de recherche et développement, mais qu’il s’agit plutôt d’une solution prête à être distribuée et exploitée sans restriction.

Par ailleurs, Terragon connaît déjà beaucoup de succès dans la commercialisation du MAGS auprès de ses clients industriels, notamment dans le secteur maritime. En effet, les bateaux de croisière produisent de très grands volumes de déchets qu’il est compliqué de décharger une fois à destination, ce qui en fait des clients idéals pour Terragon. Le MAGS est compact, et comme il produit de l’énergie, il est pratiquement autonome.

Terragon dessert aussi des clients qui se trouvent dans des habitats reculés, par exemple, au Nunavut ou aux Émirats arabes unis, de même que des stations de recherche du Nord du Canada, des aéroports d’Alberta, des installations du Canada et des États‑Unis aux prises avec des sous-produits industriels ou contaminés, ainsi qu’une installation de traitement de produits médicaux et dangereux au Costa Rica. Les solutions de Terragon intéressent une grande diversité de clients dans le monde, et la société a entrepris la démarche stratégique de répartir son marché en secteurs clés. Pour ce faire, l’entreprise compte sur l’aide d’un allié important, le Service des délégués commerciaux du Canada (SDC).

Avec l’appui du SDC, Terragon a réalisé des percées dans certains marchés importants, dont l’Allemagne, où l’entreprise s’est vue décerner le prestigieux prix GreenTec de 2017, qui vise à souligner les produits et les projets innovateurs qui tracent la voie vers un avenir plus écologique. Le SDC a aussi organisé des rencontres qui ont conduit à la signature d’un contrat auprès du gouvernement de l’Allemagne pour installer de l’équipement de Terragon sur le navire de recherches géoscientifiques RV Sonne, entièrement revampé afin d’accueillir les nouveaux appareils.

À la fin de 2017, des représentants de Terragon ont participé à une mission commerciale du gouvernement en Chine, ce qui a permis de créer des occasions auprès de clients et de partenaires commerciaux potentiels. Depuis, Terragon a vendu son premier système à la Ville de Shenzhen et compte au moins trois autres commandes à l’étape finale des négociations.

Tsantrizos attribue en grande partie au SDC la réussite de sa mission. Lorsqu’il est question des avantages que procure l’établissement d’une relation avec les délégués commerciaux, il est catégorique : « Évidemment, le SDC ouvre des portes, mais il assure aussi une certaine crédibilité, ce qui est un facteur déterminant, explique‑t‑il. Les clients, les partenaires et les investisseurs potentiels perçoivent l’entreprise différemment lorsque ses représentants sont accompagnés d’un fonctionnaire fédéral. Sa présence envoie un signal fort à l’autre partie : l’entreprise est reconnue par le gouvernement canadien, elle est légitime. C’est un atout déterminant lorsqu’il s’agit de percer à l’étranger, en particulier dans des marchés qui ont une culture différente de celle du Canada. »

Une île d’Hawaï adopte une nouvelle solution de gestion des déchets

Situé sur l’île hawaïenne de Moloka’i et entouré de falaises qui s’élèvent à 600 mètres au‑dessus de la mer, le parc national de Kalaupapa est si reculé que les déchets produits par la collectivité qui s’y est établie doivent être transportés par hélicoptère ou emportés par le bateau qui y accoste une fois par année.

Les résidents n’ont vu disparaître que récemment des charges palettisées de matières dangereuses stockées depuis des décennies sur l’île, notamment des batteries de voiture et de camion, des huiles et des carburants usés, ainsi que des déchets chimiques. Pourtant, il s’agira bientôt d’un lointain souvenir, puisqu’en 2018, le parc Kalaupapa a reçu son premier appareil MAGS™, de Terragon Environmental Technologies Inc.

Le Service des parcs nationaux des États‑Unis cherchait une solution de gestion des déchets qui soit viable sur le plan économique et qui puisse traiter les déchets produits par les 125 résidents de la région, qu’il s’agisse de papier, d’aliments, de plastique, d’huiles ou de boues d’épuration. Non seulement l’appareil MAGS correspond‑il à tous ces critères, mais il générera aussi suffisamment d’énergie pour permettre à la collectivité d’exploiter sa toute première buanderie. Les solutions de gestion des déchets mises en place dans le passé étaient nocives pour l’environnement; aujourd’hui, le MAGS permet au Service des parcs nationaux des États‑Unis de réaliser son mandat, qui consiste à protéger les résidents et les terres sacrées sur lesquelles ils sont installés.

« Il ne s’agit pas de remplacer le camion à déchets ou les égouts, explique le PDG de Terragon, Peter Tsantrizos. Notre entreprise cherche avant tout à voir les déchets non pas comme des déchets, mais comme des sous-produits qu’il faut réutiliser. Cela suppose non seulement une technologie différente, mais aussi une approche différente du marché. »

Le MAGS permet aux collectivités de fabriquer du biocharbon à partir de carton, qui peut ensuite être mêlé à du compost provenant de résidus de table, de manière à produire du terreau fertile. En outre, l’appareil WETT peut purifier l’eau de sources contaminées, qui sert ensuite à des fins agricoles ou ménagères. Ensemble, le MAGS et le WETT produisent de façon écologique de l’eau et de l’énergie qui serviront aux besoins de la collectivité et la rendront d’autant plus autonome.

Transformer les déchets en matière utile est au cœur de la vision de Peter Tsantrizos concernant les collectivités comme celle de Kalaupapa. « Le fait d’habiliter les gens à utiliser ce qu’ils considèrent comme des déchets pour produire de l’eau, des aliments ou de l’énergie représente une solution totalement nouvelle qu’aucune autre entreprise n’est en mesure d’offrir pour l’instant », affirme Tsantrizos.

Par ailleurs, le parc national de Kalaupapa accueille non moins de 30 espèces portées à la liste fédérale des espèces menacées ou en danger. En effet, le long de ses côtes, on trouve entre autres des phoques moines, des baleines à bosse, des tortues de mer géantes ainsi qu’un récif de corail. On se rend au parc après avoir parcouru 5,6 kilomètres à pied ou à dos de mulet sur un sentier pédestre difficile et très escarpé. La collectivité a pris un engagement envers le développement durable; l’intégration de la solution MAGS représente donc un changement important et durable pour ses membres et l’écosystème qui les entoure.

Abonnez-vous à : CanadExport

Date de modification: